Après mon court retour en Bourgogne (pour l’AG de la Coopérative de Bourgogne du Sud), je retrouve mon vélo là où je l’avais laissé : à Montpellier ! Pour mes deux jours dans la préfecture de l’Hérault (34), l’objectif était de rencontrer différents chercheurs qui travaillent sur l’agriculture. Montpellier est en effet une grande ville de recherches agricoles avec des instituts reconnus comme l’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique), l’IRSTEA (Institut national de Recherches en Sciences et Technologies pour l’Environnement et l’Agriculture) ou encore le CIRAD (Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement).
J’ai tout d’abord rencontré Bruno TYSSEYRE, professeur de SupAgro Montpellier (L’école d’agronomie de Montpellier) et chercheur en agriculture de précision. Alors qu’est ce que l’agriculture de précision ? C’est une discipline compliquée à définir car très diversifiée et en constante évolution. En effet, ce domaine recouvre à la fois l’utilisation du GPS, les échanges de données, les robots (de traite ou plus récemment de désherbage) ou encore la télédétection par photos, drones et satellites. Le petit défaut qui revient souvent quand on parle d’agriculture de précision, c’est la question de la rentabilité. En bon chef d’entreprise, l’agriculteur se demande si tel ou tel investissement va lui rapporter de l’argent. Mais avec le numérique c’est plus compliqué que ça. On ne parle pas forcément d’économie financière, mais plutôt de confort, d’ergonomie ou encore d’information. Tant de termes qui ne peuvent pas être convertis en argent. Exemples frappants : les caméras pour surveiller les vêlages à distance ou encore les robots de traite. Les éleveurs pourraient se passer de ces outils et économiser de l’argent, mais ils leur permettent de gagner en temps, en confort et en informations. Et puis souvent, à l’échelle de l’exploitation, l’investissement dans le numérique ne coûte pas cher quand on le compare aux prix des différentes machines agricoles qui représentent encore aujourd’hui un énorme poste de dépenses pour l’agriculture.
Bruno TYSSEYRE et le logo de l'école de Montpellier SupAgro
J’ai ensuite rencontré un chercheur du CIRAD, Nicolas BRICAS. Le CIRAD est donc un centre public de recherche qui travaille essentiellement avec les pays en voie de développement. L’objectif étant d’accompagner la formation des acteurs locaux de ces pays. Le CIRAD travaille sur différentes thématiques telles que l’agriculture/alimentation, la biodiversité, l’environnement, les systèmes de production ou encore sur le volet politique. Nicolas travaille pour le volet politique.
Logo du CIRAD
Pour lui, le travail du CIRAD a évolué ces dernières années. Nicolas est inquiet par rapport à l’avenir de notre système agricole (et plus globalement de notre planète et de l’humanité). Notre système surproduit ! Les agriculteurs ne doivent plus produire des aliments de qualité, ils doivent simplement produire ! Ce qui a entraîné, avec la révolution verte, un système qui marche sur la tête. Nous produisons en effet 30% de nourriture en trop. Il suffit de mettre le nez dans un supermarché pour comprendre qu’il y a un problème en terme de quantité. Cette conséquence s’est transformée, de façon très perverse, en problématique de gaspillage alimentaire. Aujourd’hui, on sensibilise le consommateur à ne pas gaspiller. On lui fait croire que le problème, c’est lui. Mais parler de gaspillage alimentaire et lutter contre, c’est surtout oublier la racine du problème : la surproduction. Alors comment avons-nous réussi à surproduire ? Nous n’allons pas refaire l’histoire de l’agriculture depuis la 2ème guerre mondiale, mais nous savons que c’est principalement grâce (ou à cause) de la mécanisation et des intrants (pesticides + engrais). Nous n’allons pas détailler le volet sur les pesticides car le grand public reçoit assez d’informations là-dessus pour en comprendre les dangers. Mais les engrais ? Les principaux sont les fameux N,P,K (Azote, Phosphore et Potassium). Nos réserves de phosphore, essentiellement au Maroc, sont quasiment épuisées. L’azote demande énormément de pétrole pour être produit. Et pour la mécanisation, c’est aussi un énorme gouffre à pétrole. RESUMONS : Nous prenons des ressources non renouvelables à des pays en voie de développement (Pétrole, Phosphore…) qui nous permettent d’être en surproduction, puis nous envoyons ensuite de la nourriture, à travers d’aide alimentaire dans ces mêmes pays en voie de développement. Absurde, non ? Aujourd’hui, on ne pense plus que les solutions aux problématiques agricoles sont d’ordre technique. La technique a déjà énormément évolué, et elle continuera à évoluer, mais grâce aux paysans, pas à la recherche. Aujourd’hui, les vraies solutions sont d’ordre politique. Ce n’est pas avec des initiatives locales, individuelles que l’on pourra refaire le monde, mais avec une vraie politique globale, bien fondée. Il nuance tout de même ses propos en expliquant que les initiatives individuelles sont nécessaires pour inspirer les politiques globales et qu’il garde un œil sur toutes ces petites actions. Il faut transformer ces mouvements individuels en mouvement collectif et, surtout, fédérer ! Mais pour lui, l’avenir est sombre. Même si aujourd’hui on a une multitude d’acteurs, d’initiatives, d’alternatives, de changements, et bien cette diversité entraîne une concurrence pour récupérer le peu de subventions pour alimenter ces réseaux d’agriculture alternative ! Quel dommage de voir des associations, structures qui ont pour vocation une agriculture plus durable se faire la guerre pour pouvoir survivre… Mais malgré cette diversité et ce changement qui émergent des agriculteurs, le nœud du problème reste la PAC ! C’est elle, qui par sa réglementation, dirige tout. C’est elle qui est le nœud au centre de cette pelote de laine qui est l’agriculture. Tant que la PAC n’aura pas évoluée dans le bon sens (et vu les premières ébauches de la PAC 2020, ça ne risque pas d’être le cas…) rien ne pourra changer réellement. Alors c’est notre devoir à tous, associations d’agriculteurs, structures, coopératives, paysans, citoyens, élus, de communiquer, d’échanger pour essayer de faire remonter tout ça ! Pour Nicolas la tâche s’annonce difficile, et au vu de l’état actuel de notre planète, notre discussion a très vite pris des allures pessimistes. Mais il l’assume : c’est un grand pessimiste quant à l’avenir de l’humanité sur notre planète. Mais quelles peuvent être les solutions ? Un retour à une agriculture paysanne, avec des systèmes de polyculture-élevage qui permettent de fertiliser les champs en toute autonomie. L’utilisation des stations d’épuration, comme dans le temps, est aussi une solution. Notre urine est en effet un très bon engrais ! L’augmentation de main d’œuvre dans l’agriculture et l’accompagnement des agriculteurs sur du long terme (20 ans) sont aussi nécessaires. La recherche doit aussi continuer à travailler sur des nouveaux sujets que l’on ne maîtrise pas encore. Le dernier, à la mode, étant la microbiologie des sols. Enfin, Nicolas a terminé par un rappel des fausses bonnes solutions. La pire, pour lui, étant la consommation locale ! En effet, la part des transports dans la production d’aliments n’est pas énorme : 15% des GES (Gaz à Effet de Serre) de l’alimentation. Ainsi, il peut être plus « écolo » de manger un aliment venant d’Australie, qui n’aura pas reçu d’intrants organiques, qu’un même aliment venant de Montpellier, cultiver sous serre avec une tonne d’engrais, de pesticides. Le local est un vrai enjeu, car les consommateurs éteignent tous leurs radars, justifiant que si c’est local, c’est forcément sain.
Nicolas BRICAS, chercheur au CIRAD
L’IRSTEA est aussi un institut public. Ce dernier travaille sur de nombreux projets, comme la réutilisation des eaux usées. En effet, face à l’épuisement des engrais de synthèse, les solutions se trouvent dans les engrais organiques. Mais les exploitations céréalières se heurtent à des difficultés d’approvisionnement. En effet, avec une chute importante du nombre d’éleveurs, les engrais organiques tels que le fumier ou le lisier deviennent rares. J’ai même rencontré un céréalier bio qui était obligé d’importer du fumier d’Espagne pour pouvoir fertiliser ses champs. Face à cette problématique et à la monté des mouvement Vegan, la tendance est à la recherche d’une autre source de fertilisation. Les eaux usées semblent être une solution comme elles l’ont été par le passé. Malheureusement, plusieurs problématiques se posent. Il y a déjà une contrainte sociale : est-ce que les agriculteurs seraient prêts, socialement, à déverser des déjections humaines sur leur culture ? C’est la première barrière à franchir. Ensuite, il y a la problématique sanitaire. Les eaux usées peuvent contenir des maladies voir des traces de médicaments. Seule l’urine est stérile de toute maladie. Il faudrait donc créer deux réseaux de traitements des eaux usées, l’un pour l’urine des humains qui n’ont pas eu de médicaments, un autre pour tout le reste. Recréer tous les réseaux d’assainissement pour les doubler ? Vérifier que tout le monde « trie bien » ses déjections ? Pas sûr que ce soit la bonne solution… Enfin, dernière problématique, le corps humain a un fonctionnement complètement différent du corps des animaux. Celui-ci digère et transforme de façon complètement différente les aliments. Pour une bonne fertilisation des champs, il est impossible de se passer du fumier/lisier produit par les animaux. Voilà donc le travail des chercheurs de l’IRSTEA : apporter des chiffres précis et des réponses à toutes ces questions. Dans les autres travaux qui les occupent, on peut citer un travail sur l’irrigation, avec la problématique des dérives (modéliser le déplacement des petites gouttes quand il y a du vent), des études sur l’efficience des différents modes d’irrigation (quels équipements et méthodes d’irrigation sont le/la plus performant(e)s ?) ou encore un travail sur l’agrivoltaïsme, c’est-à-dire la culture sous panneau photovoltaïque (dont une utilité intéressante a été trouvée dans les vignes pour contrôler le degrés d’alcool des vins ou dans les vergers où les infrastructures photovoltaïques pourraient être utilisées pour fixer les filets anti-grêle).
Logo de l'IRSTEA
Suite à toutes ces rencontres, j’ai ensuite repris la route à vélo pour remonter le Rhône, direction la Drôme ! Un voyage composé de 4 étapes à vélo, marquées par des moments difficiles : le vent (le fameux mistral de la vallée du Rhône !), la pluie et le froid. Quatre étapes qui ont certainement été les plus dures de mon voyage… Rendez-vous donc la semaine prochaine dans la Vallée de la Drôme !